Alan
Watts
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La question de l'Ego
La question la plus fascinante au monde, me
semble-t-il, est celle-ci : qui suis-je? Ou bien: que suis-je?
Celui qui voit, celui qui sait, celui qui est : voilà bien la
chose qui constitue l'expérience la plus inaccessible de
toutes, une expérience mystérieuse, complètement occultée.
Nous parlons de notre ego. Nous utilisons le mot
je. J'ai toujours été extraordinairement intéressé par le sens
que les gens donnent au mot je, à cause des formes curieuses
qu'il peut prendre au cours de la conversation. On ne dit pas,
par exemple, " je suis un corps ", mais "j'ai un corps ".
D'une certaine manière, nous ne paraissons pas nous identifier
entièrement à tout ce qui est nous-même. Je dis " mes pieds ",
" mes mains ", " mes dents ", comme s'il s'agissait de choses
m'étant extérieures. Et, dans la mesure où je peux m'en faire
une idée, la plupart des gens semblent ressentir qu'ils sont
quelque chose à mi-chemin entre leurs deux oreilles, un peu en
retrait des yeux, à l'intérieur de la tête, tout le reste se
trouvant comme raccroché à ce quelque chose. Et ce principe
actif qui est ici, c'est ce que nous appelons notre ego. C'est
moi!
(...)
Mais alors, qu'est-ce que notre ego? Une
illusion doublée d'une futilité. C'est l'image que nous avons
de nous-même, une image incorrecte, fausse, une caricature
combinée à un effort musculaire futile, pour rendre sensible
notre volonté.
Ne serait-ce pas mieux, si le sentiment que nous
éprouvions de nous même était en accord avec la réalité? Cette
réalité de notre existence qui fait que nous sommes à la fois
l'environnement naturel -c'est-à-dire en fin de compte
l'univers entier- et l'organisme qui joue avec. Pourquoi ne le
ressentons-nous pas ainsi? De toute évidence, parce que cette
sensation est occultée par une autre. D'origine sociale, elle
est le résultat d'une sorte d'hypnotisme s'exerçant à travers
tous les procédés éducatifs, et qui crée cette impression
hallucinatoire d'être celui que nous sommes ce pourquoi nous
nous comportons comme des fous.
(...)
Nous sommes fous à lier.
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La solution au problème ?
" Mais ", me direz-vous, comment en venir à bout
? " Je réponds à cela qu'il s'agit d'une mauvaise question; de
quoi faut-il venir à bout? Vous ne pouvez pas vous débarrasser
des hallucinations qui donnent substance à votre ego à l'aide
de votre ego. Désolé, mais c'est impossible, comme de se
soulever en tirant sur ses propres bottes. On n'éteint pas le
feu avec le feu: si vous essayez de vous débarrasser de votre
ego à l'aide de votre ego, vous tombez dans un cercle vicieux.
Et vous risquez fort de ressembler à quelqu'un qui redoute de
se faire du souci du fait qu'il est soucieux... vous tournez
en rond sans fin en devenant toujours plus fou.
La première chose à comprendre quand vous vous
dites: " que puis-je faire pour me débarrasser de mon faux ego
? C'est que la réponse est " rien" , car vous posez la
mauvaise question. En demandant: " Comment puis-je, alors que
je m'éprouve comme un ego, me débarrasser du sentiment d'être
un ego? " On ne peut que vous répondre " impossible " Vous
dites alors: " Mais dans ce cas, c'est désespéré! " Ça ne
l'est pas. Simplement, vous n'avez pas reçu le message.
Si vous avez découvert que votre volonté et que
ces trucs ne peuvent pas se débarrasser de cette
hallucination, vous avez découvert quelque chose de très
important. En comprenant que vous ne pouviez rien y faire vous
avez réalisé que vous n'existez pas. C'est-à-dire " vous " en
tant qu'ego n'existez pas, et c'est si évident que vous ne
pouvez rien y faire. Vous constatez ainsi que vous ne pouvez
pas vraiment contrôler vos pensées, vos sensations, vos
émotions, et que tous les processus qui se produisent en vous
comme hors de vous vous échappent complètement.
Mais alors, qu'arrive-t-il? Eh bien voilà ce qui
arrive: vous observez ce qui se passe. Vous voyez, vous
ressentez tout ce qui se produit, et vous constatez soudain, à
votre grand étonnement, que vous pouvez parfaitement vous
lever, marcher jusqu'à la table, y prendre un verre de lait et
le boire : il n'y a rien qui s'oppose à ce comportement. Vous
pouvez toujours agir, vous pouvez toujours bouger, vous pouvez
toujours fonctionner de façon rationnelle mais vous avez
soudain découvert que vous n'étiez pas ce que vous croyiez
être. En tout cas pas cet ego qui pousse et tire à l'intérieur
de son sac de peau.
Voici que vous vous éprouvez vous-même et le
monde entier d'une manière nouvelle - le monde entier
comprenant votre corps et tout ce dont vous faites
l'expérience pendant votre vie. C'est intelligent. Ayez
confiance.
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Le néant
Vous ne pouvez pas voir vos yeux directement
avec vos yeux. Vous ne pouvez pas vous observer en train de
vous observer. Vous ne pouvez pas toucher le bout de l'un de
vos doigts avec le doigt en question, quelle que soit
l'opiniâtreté que vous y mettiez. C'est simplement parce qu'il
y a un envers à toute observation, une sorte de point aveugle,
comme il s'en trouve précisément un au fond de l'oeil. Quelque
effort que l'on fasse, on se trouve ici en présence d'un "
trou irréductible ", c'est l'inconnu. C'est la portion de
l'univers qui ne se voit pas elle-même parce qu'elle est son
système de vision.
Mais l'inconscient est la part de l'expérience
qui crée la conscience, tout comme le creux constitue la
vague, l'espace le solide, et le fond la forme. Tout cet
aspect de votre vie que vous appelez inconscient, inconnu,
impénétrable, est inconscient, inconnu et impénétrable parce
qu'il est véritablement vous-même. Autrement dit votre moi le
plus profond est le côté " néant ", le côté dont on ne peut
rien savoir.
Ne soyez donc pas effrayé par le néant --je
pourrais dire : " Il n'y a rien d'effrayant dans rien. " Mais
dans notre culture, les gens sont terrifiés par l'idée de
néant, comme ils le sont par la mort; ils regrettent même de
dormir, considérant cela comme du temps perdu. Ils éprouvent
tout au fond d'eux-mêmes une terreur vague: celle que
l'univers tout entier finisse par sombrer dans un néant
définitif. Tout alors sera oublié, mort et enterré. Mais c'est
une peur complètement irrationnelle, car c'est justement dans
ce néant que se trouve la source de toutes choses.
Nous avons besoin d'espace pour vivre, et
l'espace est une sorte de néant, comme la mort - le principe
est le même. En disposant d'espace, de tranches de néant, de
distances vides entre les choses, la vie est alors
correctement " espacée ".
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La mort
Prenons le fait pour acquis: il n'y a rien après
la mort. C'est la fin absolue; remarquez bien que c'est la
pire chose que vous ayez à redouter. Cela vous effraie-t-il?
Mais qui va donc être effrayé? Si l'on admet que c'est la fin,
il n'y a pourtant plus de problème... Mais, si vous suivez
bien mon raisonnement, vous constaterez que ce néant est
quelque chose dans quoi vous vous plongez de nouveau, comme
vous en avez jailli lorsque vous êtes né. Vous jaillissez du
néant, le néant est une sorte de saut, qui veut que "rien"
implique "quelque chose". Vous jaillissez de nouveau tout
neuf, tout différent, sans rien à voir avec ce que vous étiez
auparavant, c'est un total renouvellement.
On dit qu'il n'y a de sûr que la mort et les
impôts. Et la mort de chacun de nous est aussi certaine que si
elle devait intervenir dans les cinq minutes qui viennent Dans
ce cas, pourquoi s'en faire? Où est le problème? Considérez
que vous êtes déjà mort, et vous admettrez que vous n'avez
plus rien à perdre! Comme le dit un proverbe turc " Celui qui
dort par terre ne risque pas de tomber du lit. " C'est ainsi
qu'il en est pour celui qui se considère déjà comme quelqu'un
de mort.
Virtuellement, vous n'êtes donc rien. D'ici
moins de cent ans, vous ne serez qu'une poignée de poussière,
au sens propre. Partez maintenant de cette réalité, et partez
de ce... néant. Soudain, vous allez vous surprendre vous-même.
Plus vous allez prendre conscience que vous n'êtes rien, plus
vous arriverez à être quelque chose.
Telle est la nature de la vie, l'impulsion
qu'elle donne. Je devrais être ailleurs. Si vous découvrez que
c'est un tour que vous vous jouez à vous même, vous atteignez
la sérénité; sans pour autant abandonner le jeu sous prétexte
que vous avez deviné le truc. Vous vous dites simplement: "
Après tout, ça pourrait bien être amusant de continuer la
partie."
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